Pourquoi on devient psy 13 – Etre fille n’est pas un cadeau. 0

Je me promène dans la plus belle avenue de Bruxelles …le « Goulot » de l’avenue Louise.
Je ne m’en lasse pas , cela fait plusieurs années  que je passe ici deux fois par jour  et chaque vitrine est un éblouissement …je mange des yeux tous ces produits de luxe …les boutiques de vêtements offrent au regard les marques les plus prestigieuses …on est dans les  années sixties  et l’opulence commence à s’étaler en plein jour .
Le choc visuel vient de la différence entre ce que l’on voit déambuler dans la rue   et ce que l’on voit dans ces vitrines de grand luxe.
Actuellement cette différence n’existe plus , on a installé une sorte de nivellement par le bas. Tout le monde se ressemble ,les riches s’habillent comme les pauvres …ça fait branché , décontracté …Paris rive gauche…s’habiller pour sortir le soir, c’est d’un « bauff’ »  …
Alors qu’à  la fin des années 50 il y a de vraies élégantes qui viennent faire leurs emplettes dans les beaux quartiers…et c’est un réel plaisir de contempler cette foule multicolore aux effluves  de Shalimar …

Nous sommes assises mon amie Renée et moi à la terrasse du plus bel établissement ,

cela nous arrive quelquefois par jour de grand soleil…on se commande un thé, ça fait plus chic …et on se la joue a faire les artistes avec nos cartons à dessins aux pieds  …on rêve d’exposer nos oeuvres picturales dans l’une des galléries prestigieuses qui n’accroche aux cimaises que des valeurs sûres …de préférence étrangères .
Sans le savoir, nous absorbons cette manne esthétique qui va nous conditionner tout au long de notre vie .
C’est une fois de plus le grand débat entre l’inné et l’acquis …mais personnellement je suis convaincue qu’avoir passé 5 ans en contact journalier avec ce qui se fait de plus branché par les créateurs de tous bords , y compris le cinéma d’art et d’essais, le théâtre intimiste, les expositions …a fait de moi quelqu’un de différent.

Notre prof d’histoire de l’art y a beaucoup contribué aussi .

C’est une femme hors du commun …le contact qu’elle a avec ses élèves est inversement proportionnel à la richesse de son savoir …elle nous ignore totalement , nous méprise, connaît notre nom par la force des choses , mais certainement pas par sympathie .
Quand elle nous donne cours elle s’exprime avec les coins de sa bouche qui s’étirent vers le bas comme si elle suçait un citron …c’est sa façon à elle de nous maintenir à distance , de marquer une différence sociale …elle était faite pour devenir prof de faculté, mais la vie en avait décidé autrement . ..alors c’est sans enthousiasme qu’elle vient gagner son pain dans une  école d’enseignement supérieur …berck !
Elle commençait son cours de manière abrupte, sans un « bonjour » …sans un regard…mais dès qu‘elle entrait dans sa transe culturelle, nous entrions en léthargie sous son charme…pendues à ses lèvres. Son cours d’histoire le l’art était éblouissant de savoirs, de rebondissements, de liens culturels, et d’introspections émotionnelles …alors son visage d’aigle s’illuminait, s’adoucissait…elle en devenait presque belle.
Le plus beau cadeau qu’elle nous ait fait est de nous avoir fait participer à la montée du féminisme . Elle était passionnée par le sujet et terriblement bien documentée…elle nous endoctrinait littéralement …ne supportant pas la contestation sous peine de nous foudroyer du regard, de nous rabaisser au rang de vachères  ou d’éleveuses de poules .

Cela faisait du raffut dans la plupart des familles de mes compagnes de classe…

les parents redoutaient le pire …qu’est-ce qu’on était en train de mettre dans la tête de leur fille.
Alors que chez moi, c’était tout le contraire. Ma mère s’intéressait à cette nouvelle condition féminine et elle m’encourageait à m’assimiler à ce nouveau courant de pensée. D’ailleurs elle  m’achetait sans restriction tous les bouquins conseillés par la prof . Une des phrases types de ma mère était : « deviens une femme indépendante pour ne jamais devoir demander de l’argent à un homme  et plus encore si cet homme est ton mari ».
C’est ce genre de phrases qui a installé le socle de ma personnalité … et ma prof d’histoire de l’art n’a fait qu’arroser le terrain,  faisant de moi un être responsable ,  fier de faire partie de ce   « deuxième sexe » comme le disait « Simone »  en  revendiquant la vraie valeur de sa différence …c’était grisant, on avaient envie de monter aux barricades , de crier dans la rue pour mettre en évidence ce que  nos mères avaient l’habitude de dissimuler  par conditionnement  et beaucoup par ignorance.

On refaisait le monde dans des discussions sans fin ,

nous étions les porteuses d’une nouvelle pensée …cela  amusait beaucoup  les garçons un peu basiques,  installés dans leur statut de puissance invulnérable .
Par contre les garçons un peu plus évolués pouvaient manifester un certain intérêt à condition de ne pas les chatouiller trop fort dans leurs certitudes  …et de leur accorder le dernier mot.
Eh oui cela ne s’est pas fait en un jour et il a fallu souvent mordre sur sa chique … Car le « discours » n’est pas toujours en phase avec la réalité de la vie.

Quand j’ai commencé à fréquenter les garçons d’un peu plus près ,

je me suis rendue à l’évidence que revendiquer la valeur de sa différence n’empêche pas la crise de panique du 28e jour du mois si rien ne se déclenche .
Toutes les filles de cette époque étions dans ce conflit paradoxal…notre cerveau était capable d’assumer nos responsabilités liées à notre  indépendance de fraîche date…mais notre corps n’avait pas les moyens physiques ou chimiques d’assumer de tels engagements .
On baignait dans le néant de la contraception…seule existait la méthode Ogino qui affirmait que la température de la femme augmentait d’un demi-degré en période fertile  …autant  repérer un goujon parmi 50 ablettes ! moi je n’y suis jamais arrivée.
Entre les cours, durant les interruptions, nous échangions entre nous bon nombre d’informations, de recettes , de petits trucs …évidemment nos mères étant plus incultes que nous dans ce domaine  on ne pouvait pas compter sur leur soutien.
Pour celles qui avaient la chance d’avoir une mère ouverte aux nouveautés…Les rôles étaient inversés, car c’est la fille qui instruisait la mère …et c’est la mère qui posait les questions idiotes .

De bouche à oreille j’avais appris qu’un préservatif féminin venait d’être inventé  ,

mais on n’était pas sûre de pouvoir se le procurer, il se vendait discrètement derrière les comptoirs  …et seules quelques pharmacies avant-gardistes étaient supposées en avoir .
Je me souviens avoir traversé Bruxelles dans tous les sens avec ma «deux chevaux»  pour visiter les pharmacies mentionnées  afin de me procurer le fameux  diaphragme …c’était déjà une bouffée d’oxygène contre les angoisses mensuelles , mais il faudra  attendre 1967 pour que la contraception par la pilule ou le stérilet soit autorisée et permette aux femmes d’avoir un réel contrôle de leur vie.

En 1963 , 3 mois avant la fin de mes études je me réveille un matin avec le cœur à l’envers et une forte envie de vomir …

ce n’est pas le moment…j’ai  des  examens à préparer , ainsi que mon mariage prévu fin juillet…j’ai déjà commencé à gonfler, mon visage se boursoufle, mes seins sont à vif, le frottement du satin du soutien-gorge me fait serrer les dents…non, non et non je ne suis pas prête, je ne veux pas passer à côté des  choses que j’ai à vivre  pour le moment et qui ne se reproduiront plus.
J’annonce la nouvelle à mon futur mari qui reçoit cela avec un doute dans le regard…c’était sa manière à lui d’évincer le problème, de s’en laver les mains … » Évidemment c’est un problème de femmes …qu’est-ce qu’on peut y faire nous les hommes…on a d’autres chats à fouetter » .
Mais c’est un regard qui ne s’oublie pas , il s’est gravé dans ma mémoire et mon intuition me fait présager que le doute pourrait vraiment s’installer si l’embryon que je porte venait à ressembler plus à sa mère qu’à son père …comme les tests d’ADN n’existaient pas encore , je ne pouvais pas prendre le risque de commencer une vie de couple baignée dans la suspicion .

Et c’est comme cela que je me suis retrouvée en position gynécologique

face à ma mère en pleurs qui essayait de m’introduire une sonde  dans l’utérus  pour me libérer de  cet avenir  incertain qui immanquablement allait me rattraper…Ce fut un moment insoutenable émotionnellement , car je comprenais enfin toutes les angoisses et les souffrances de cette femme qui m’avait abandonnée par deux fois…non pas parce qu’elle ne m’aimait pas, mais parce qu’elle n’arrivait plus à assumer sa condition de femme dépendante du bon vouloir de l’homme  …et  socialement emmurée dans une responsabilité  qu’il lui fallait assumer seule et en  silence.
Quand le doute s’installe dans la tête, il se rigidifie en croyances et  les croyances se rigidifient en vérités. Alors quand il y a un doute, il vaut mieux couper dans le vif que de mettre sa tête dans le sable …

Et c’est comme cela que je me suis retrouvée chez un médecin, l’ami d’un ami d’un ami…

J’ai sonné, il a ouvert la porte, n’a pas dit un seul mot , d’un geste il m’a indiqué la table médicale et il m’a introduit à vif un ustensile dans l’utérus pour ouvrir le col …il s’est retourné pour procéder   au nettoyage de l’ustensile et m’a dit : revenez dans 3 jours à 17 heures …au revoir madame …je suis partie…et je me suis retrouvée toute bête dans la rue en serrant mon ventre …je venais de vivre 10 minutes qui n’avaient pas le droit cité dans ma mémoire…ça ne pouvait pas avoir eu lieu.
Trois jours plus tard , il m’a ouvert la porte de son cabinet , m’a adressé un bonjour un peu fébrile , me signalant que sa patiente suivante était une commissaire de police …donc il voulait en finir au plus vite avec moi . Puis il n’a plus ouvert la bouche .  J’ai dû insister pour qu’il me dise à quoi je devais m’attendre et comment je devais procéder pour la suite des opérations.
Vous laissez venir , dans 2 ou 3 jours vous ferez une fausse couche et vous prendrez directement rendez-vous pour vous faire faire un curetage dans l’hôpital de votre choix … au revoir madame.

Je me tords dans mon lit, ma mère pleure sur la condition féminine ,

elle me tient la main, je la trouve touchante et je commence à lui reconnaître des qualités …Une forte poussée me coupe en deux, elle précipite un vase entre mes cuisses et une sorte de matière noire s’échappe de mon corps dans une odeur viscérale …ma mère va vers la salle de bain avec le vase …elle en revient quelques minutes après et dit : « c’était un petit garçon ». On s’effondre toutes les deux dans les bras l’une de l’autre je reconnais son odeur de quand j’étais petite et cela me fait du bien . Merci Maman.

J’émerge d’un sommeil vaseux , j’ai soif, j’ai chaud et mes idées ont du mal à se poser …

ça chuchote autour de moi …j’occupe le lit près de la fenêtre et 5 autres lits font partie de ce nouvel univers que je découvre progressivement … Cinq paires d’yeux me regardent avec curiosité sans compassion …je suis la bannie de la chambrée , la paria , celle qui n’a pas voulu assumer le fruit de son plaisir…. Durant 3 jours personne ne m’adressera la parole et je passerai le plus clair de mon temps , tournée vers la fenêtre avec le drap remonté jusqu’aux oreilles …je ne sais plus très bien qui je suis.  J’ai la conviction que ma présence parmi ces nouvelles accouchées n’est pas un hasard , c’est une sorte de punition , de descente dans les abîmes de la honte imposée par une société hypocrite .
J’ai par bonheur la visite hebdomadaire de ma mère pour me réconforter et me permettre de me reconnecter à mon identité…Pour me dérider, nous parlons des préparatifs du mariage qui aura lieu dans  3 semaines ….et une question s’impose à moi…vais-je épouser un homme qui n’est pas venu me soutenir dans cette épreuve qui nous concernait tous les deux  et n’a même pas pris la peine de téléphoner pour prendre de mes nouvelles ……………………………….

C’est trop tard pour tout remettre en question, je viens d’avoir 21 ans, j’ai mon diplôme en poche , la vie est devant moi…et les faire-part sont envoyés .
Vamos  a la vida

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