Ma deuxième fille était en route , je l’attendais pour le mois de septembre et je fus plus raisonnable durant ma deuxième grossesse pour éviter le surpoids et le régime draconien qui en suivit . J’avais décidé de mener une vie normale , mais un personnage ambitieux et quelque peu parasite avait dans l’idée de se faire remarquer par la publication d’une bande dessinée permettant d’apprendre le néerlandais avec facilité . Et de développer cela également pour un laboratoire audiovisuel. Le problème c’est que l’ambitieux en question était inspecteur de néerlandais, il savait parler flamand, mais ne savait pas dessiner .et il passait d’école en école à la recherche d’un prof capable de lui mettre ses idées sur papier…pour pouvoir réaliser le premier cours audio visuel de sa discipline .
Me voilà convoquée dans le bureau de la directrice
qui s’était avancée très fort en expliquant qu‘elle avait la personne adéquate sous la main …MOI ! Ceci était totalement faux …faire de la bande dessinée est un art à part entière, qui nécessite des compétences que je n’ai pas . Mais la vie est ainsi faite, chacun tire toujours la couverture à lui …la directrice pour ne pas perdre la face en s’étant engagée à l’aveuglette… a essayé de me convaincre que je manifestais trop d’humilité …que j’étais tout à fait capable de faire ce travail et que vu l’ampleur du projet, cela rejaillirait sur moi en me donnant de la notoriété .
En gros ça veut dire ,
tu es grassement payée pour le peu d’heures que comporte ton horaire …il va de soi que ce travail t’est demandé gracieusement …et pour les clopinettes, on oublie . .. Donc, pas question de dire non… Alors je me mets en état de léthargie , la bouche pendante comme un batracien et j’attends de voir à quelle sauce on va me bouffer ! C’est comme cela qu’on me fait part de l’ampleur du projet qui est en parfaite adéquation avec l’ampleur de l’ambition de Monsieur l’Inspecteur de l’éducation nationale orientation néerlandais.
Il s’agit de mettre en images toute une année de cours ,
à raison de 3 heures semaine avec approximativement 50 dessins par heure. Allons, soyons bon prince …on disait 8 mois de cours …donc 32 semaines…donc 96 heures…soit 4800 dessins, pour pouvoir mettre mon nom en bas d’un générique qui ne sera vu par personne…parce que les inspecteurs de l’enseignement ne sont pas les plus qualifiés en marketing………………..J’étais coincée, j’allais travailler un an comme une mandaille, ou j’allais perdre mon emploi …….Il me restait l’opposition silencieuse, l’incompétence totale irréprochable … -1er image : un monsieur entre dans la pièce et dit : bonjour Madame -2e image, la dame en gros plan : que désirez-vous Monsieur -3e image, la dame et l’homme de part et d’autre d’un guichet de banque : Le monsieur : je désire ouvrir un compte Je pète les plombs, tant je suis coincée…Par la suite j’ai appris que l’entreprise multi média qui avait accepté de transférer mes images gratuitement sur film , était située au sud de Paris …et que chaque semaine, ils envoyaient un fax pour signaler les bavures du dessin et le strabisme de certains personnages …ils suggéraient que les dessins soient faits sur papier steenback d’au moins 50 centimètres de hauteur pour qu’ils puissent procéder à des réductions et supprimer ainsi les maladresses. Conséquences pour moi : 10 fois plus de travail !
Mais l’inspecteur qui n’était pas plus téméraire qu’une huître
et qui se sentait quelque peu gêné de m’avoir imposé ce travail gratuit ? n’osait pas me parler des doléances de l’entreprise parisienne . Ce fut après quelques semaines de laborieux travail qu’il m’a proposé de me rendre à Paris, car les réalisateurs avaient des choses à me montrer . Je me doutais bien de quoi il s’agissait , mais je devais jouer les ingénues jusqu’au bout pour sauver ma peau. Je lui fais remarquer que j’étais enceinte de presque 8 mois et me rendre seule à Paris n’était pas prudent . De toute évidence il n’avait pas envie de m’accompagner et la directrice non plus. Il m’a suggéré de partir la veille du rendez-vous non pas en voiture, mais en train …une fois dans Paris me reposer dans un hôtel pour la nuit et le lendemain prendre un taxi pour faire les 50 derniers km . Avec des grands yeux candides, j’ai dit : ah ! cela c’est une excellente idée.
J’ai débarqué à la gare de l’Est vers les midi
en me disant que j’allais me payer un peu de bon temps en léchant les vitrines , mais le plaisir fut très éphémère, car très vite des hommes se sont mis à me suivre comme une chienne en chaleur. Mon gros ventre les attirait comme des mouches , je marchais de plus en plus vite et mes cuisses commençaient à me faire souffrir à cause du frottement. Je me suis réfugiée dans une pharmacie pour acheter 2 bandes Velpeau et une pommade cicatrisante… j’ai dû supplier le pharmacien pour qu’il accepte de me céder ses toilettes pour me faire mes pansements …je suis sortie de la pharmacie et les glandeurs étaient toujours là à m’attendre …ils sont devenus de plus en plus pressants en passant à mes côtés pour me dire tout bas des insanités …je ne savais où aller …tous les hôtels du coin étaient des hôtels de passe …
C’est dans ce genre de situation qu’on se rend compte que la compassion ne fait pas partie des qualités innées chez l’humain …
Pensez donc, une femme dans un état si avancé qui se promène seule avec une horde de mâles à ses trousses, c’est pas net…c’est qu’elle cherche quelque chose ? J’ai fermé les yeux une seconde …j’ai prié tous les saints du paradis et j’ai juré de ne plus jamais me déplacer sans ma voiture… j’ai rouvert les yeux et j’étais face à un hôtel pour touristes dans lequel je me suis engouffrée et duquel je ne suis ressortie que le lendemain pour entrer dans le taxi qui m’attendait devant la porte .
La visite au studio d’enregistrement fut de très courte durée,
ils ont allumé le projecteur , mes images sont apparues sur 4 mètres de large …j’ai éclaté de rire et je leur ai expliqué que jouer les incompétentes était ma seule planche de salut …je préférais passer pour une abrutie et avoir la paix . Ils ont éclaté de rire et on s’est dit au revoir et à plus jamais ! Merci la vie .