Il est 10 heures, mes filles viennent de partir avec leur père …et si je veux m’organiser une petite soirée sympa, il va falloir que je joue serré ! Devant moi 5 numéros de téléphone portant chacun un ordre préférentiel …Ce n’est plus le moment de se poser des questions , il faut agir. Je forme le premier numéro… ça sonne…pas de réponse ! Passer au suivant désorganise ma stratégie, mais je n’ai pas le choix ! Je me prépare à entendre ce premier « allo » au bout du fil ! Tellement révélateur … toute la personnalité de l’individu est dans ce premier mot…Ça sonne toujours …on décroche, une voix rogue avec un fort accent répond …Je panique en voyant l’image que je viens de me construire dans la tête…Je raccroche aussi sec .
C’est plus difficile que je ne croyais ,
je croyais m’être préparée à tous les possibles et ce sont eux qui me rattrapent. Sa lettre était pourtant pas mal, sensible, bien écrite avec seulement 3 fautes. Je dois me rendre à l’évidence que l’écriture est le parent pauvre de la voix . Je me suis affalée sur mon siège …les jambes en coton… En une seconde, j’ai perdu ma motivation ….non, je dois me reprendre , re visionner dans ma tête les moments de solitude afin de rebooster mon objectif de rencontre …si j’abdique aujourd’hui je devrai attendre samedi en 15 pour bénéficier d’un nouveau week-end de liberté …et peut être que je risquerais d’y perdre l’envie de rencontrer quelqu’un !
Entreprendre une démarche nouvelle percute toutes nos croyances et nos interdits…j’ai envie de comparer cela à un flipper …on tire sur le ressort pour donner une force à la propulsion …et après on n’est plus maître de rien, la bille va où bon lui semble .
Face aux démarches qui demandent d’entrer dans l’inconnu ,
deux forces se battent en nous, l’une veut la liberté, l’indépendance, l’autonomie ou le plaisir et l’autre veut la sécurité . Actuellement quand j’aide quelqu’un à se lancer dans la rencontre programmée, je remplis sous forme de colonnes les avantages et inconvénients des 2 forces qui s’affrontent …et puis on voit de quel côté penche la balance .Entrer dans l’inconnu nécessite de lâcher-prise et là est l’apprentissage de toute une vie …ça ne se fait pas en claquant des doigts. Les rencontres par le biais d’un journal étaient moins agressives que le Net aujourd’hui et pourtant la formule est fabuleuse quand on évite de fantasmer comme des malades sur les personnes qu’on va rencontrer.
Il y a quelques années j’avais été interloquée par des statistiques concernant
les possibilités de tomber amoureux et rencontrer l’âme sœur . La conclusion était que les gens tombaient amoureux d’une personne habitant à moins de 20 minutes de chez eux … Donc cela veut dire que toutes les 20 minutes on peut décrire un cercle qui potentiellement contient notre âme sœur ……Ca laisse rêveur ! mais ça pose questions ! Je trouve ça sécurisant parce que cela veut dire que depuis des millénaires les hommes et les femmes on eu l’occasion de rencontrer l’homme ou la femme de leur vie …sans dépasser les 20minutes à pieds ….soit ils ont eu beaucoup de chance … soit ils se sont adaptés…quand on n’a pas de grives, on mange du merle. Mais si on prend ces statistiques à la lettre, les possibilités de choix augmentent en fonction de nos moyens de locomotion . Alors avec les techniques d’aujourd’hui, je trouve que cela peut avoir un côté angoissant … les possibilités de rencontre étant devenues immenses plus personne n’accepte de manger du merle à défaut de grive … on veut son âme sœur à tout prix et on écumera la planète entière s’il le faut !
Il faut y penser avant de se lancer dans l’aventure et se prémunir des mécanismes compulsifs …envisager la rencontre comme un « management »…ou comme on ferait son marché… « s’il n’y a plus de jarret de veau pour faire l’osso buco…alors je ferai une lasagne » .
Mais la plupart des gens veulent que la rencontre les éblouisse …
ils vivent avec une image fabriquée dans la tête et à chaque rencontre ils s’inventent que l’image sera vivante et va se mettre à parler ! Entrer dans un processus de rencontre nécessite de maintenir fermement son objectif et de na pas y déroger, tel que passer une soirée accompagnée …pouvoir échanger un avis suite à une séance de cinéma , suite à un concert ? Pouvoir avoir une relation sexuelle sans engagement , juste pour le plaisir ou pour l’hygiène …Ben oui nous ne sommes pas en train de débattre d’un jugement de valeur …nous sommes en train de comprendre le processus de la rencontre programmée et d’apprendre à s’adapter à cela sur le plan émotionnel…. et pas l’inverse qui serait de définir ses manques émotionnels et de s’attendre à ce que la réponse arrive droit devant vous et vous prenne dans les bras …..ça c’est la déprime assurée !
Il est 19 heures quarante , l’avenue de l’Europe,
la cité administrative est presque déserte tout semble mort, excepté « le pub » où j’ai rendez-vous, il fait une tache de lumière colorée parmi les grands buildings tout en verre et en béton. Un sentiment d’anxiété me serre le cœur. Je pousse la porte et sans transition, je passe d’une atmosphère angoissante à une chaude ambiance de taverne anglaise : bruit étouffé par la moquette, lumière tamisée, couleurs feutrées…Où vais-je m’asseoir, près de la fenêtre cela me plairait, je pourrais le voir arriver ! Non, j’aurais l’air de draguer. Alors au bar perchée sur un tabouret , ça me donnera de l’assurance…mais j’ai l’air d’une professionnelle. Oui ce n’est pas facile de quitter la réputation lisse d’une femme mariée, mère de famille , pour devenir un produit répondant à l’offre et la demande . Te voilà marchandise laissée pour compte au milieu d’un étal vide …qu’est-ce que je fous là …après quoi je cours …qu’est-ce que j’essaie de me prouver à moi même ….Le trauma de l’abandon refait surface ? j’ai presque envie de pleurer. Après deux gorgées de café , la tremblote me reprend… Je dois avoir l’air complètement paumée , le garçon n’arrête pas de me lancer des regards interrogateurs ! J’aurais mieux fait d’arriver en retard, mais je me serais privée du plaisir de prendre possession des lieux avec aisance pour pouvoir le détailler de la tête aux pieds lors de son entrée. Et là, c’est loupé…avec le trac que j’me paie, mon petit numéro de femme désinvolte – qui – fixe – des – rendez-vous – par – annonce – comme – si – elle – prenez – une – tasse – de – thé… Ce sera pour une autre fois.
– « Bonsoir vous êtes Florence ? Je suis Charles ».
Ce sioux aux pattes de velours m’est tombé dessus sans que je m’en aperçoive et la surprise ne fait qu’augmenter mon manque d’assurance. Pour masquer mon trouble, je deviens un rien hautaine face à ce monsieur qui n’est ni beau, ni laid, ni jeune, ni vieux et qui se veut charmant et surtout charmeur. Voilà, la messe est dite, les carottes sont cuites , les jeux sont faits. Le rêve s’était il y a deux minutes …maintenant il va falloir assumer la conversation. Avant j’étais dans l’espoir euphorique, maintenant je suis dans la désillusion. J’ai envie de rentrer chez moi et de prendre ma tv dans les bras. Comme ma mère m’a bien élevée je fais semblant de m’intéresser à son narcissisme , mais je n’écoute plus, j’analyse le personnage. Il a tellement le souci de se mettre en valeur qu’il en oublie de s’intéresser à moi . Au bout d’une heure, je fais semblant de découvrir la montre à mon poignet …-Oh ! il est presque 20 heures trente , il va falloir que je vous quitte …une longue route m’attend…je suis navrée . Il voudrait que je lui communique mon numéro de téléphone . Mais de suite, je coupe court à sa demande et lui annonce que j’ai 4 autres personnes à rencontrer avant de faire un choix …sa figure reste scotchée dans une expression enfantine de déception …le pauvre, lui aussi avait fantasmé sur cette rencontre .
Toutes les premières entrevues se ressemblent …
chacun parle de lui avec plus ou moins de vérité en fonction du degré de séduction qu’il éprouve …mais attention, ce n’est pas parce qu’il me plaît, que je vais lui plaire …constat auxquelles les femmes sont habituées depuis la nuit des temps…mais qui est complètement absente du cerveau des hommes …eux si une femme leur plaît : la réciproque est automatique …ils ne se posent même pas la question ! Vous n’imaginez pas le nombre de choses que j’ai apprises sur les mécanismes masculins …car ce genre de rencontres incitent aux confidences et quand vous êtes face à un réservoir inépuisable , on devient « acro » à l’anthropologie. Naïvement je croyais me satisfaire des 5 rencontres programmées …et faire un choix constructif dans le sens de ne plus être une femme seule , mais être une femme qui a un ami pour sortir , pour partage, pour discuter et pour se faire dorloter …….Que nenni, on entre dans la boulimie et la consommation de peur de passer à côté de la montre en or . Les champignons sont toujours plus beaux et plus gros dans la prairie d’à côté …alors je me précipite sur un nouveau champignon tant convoité , qui devient moins attrayant une fois à mes pieds…et directement mon regard scrute l’horizon à la recherche d’un nouveau mirage qui devient très vite aussi peu attrayant que le précédent…Ce comportement compulsif n’était pas prévu au programme , il m’est tombé dessus par inadvertance …..C’est pire que le chocolat ou les chips …on pourrait s’empiffrer jusqu’à avoir envie de vomir.
Mais ma vie est devenue une immense cour de récréation
où j’avais le pouvoir de sonner la cloche à ma convenance …c’est l’heure, ce n’est pas l’heure…on rentre, c’est fini…allez encore quelques minutes . Pendant 5 ans j’ai côtoyé les milieux les plus divers : artistiques, intellectuels, sportifs, politiques …j’ai visité des campings , des hôtels 5 étoiles , des grands restaurants et des marchants de frites …j’ai roulé à bicyclette, en Lada et en Porshe. Je suis devenue boulimique des hommes , mais inflexible à mon indépendance telle une amazone …un raisonnement d’homme dans un corps de femme. Je me sentais maîtresse de ma vie. Mais j’ai aussi connu des réveillons solitaires… des week-end festifs dont je ne faisais pas partie…des coupes de champagne bues toute seule dans mon lit , accompagné d’un somnifère qui vous transporte au premier jour de l’an nouveau, sans avoir versé une larme…merci les médocs !
Je vous entends me demander : « Et si c’était à refaire ? »
Je referais tout pareil, ça en valait vraiment la peine et je conseille cela à toutes les femmes qui viennent me demander de les aider à reprendre confiance en elle…Je leur offre mon expérience et je les aide à s’assumer seules…apprendre à ne dépendre que de soi , et accueillir ce qui vient de l’extérieur comme un vrai cadeau de la vie et non comme un dû.
Merci la vie.