Pourquoi on devient psy 24 – Les privilèges ne tombent pas du ciel… 0

On est dans les années 1968 / 1969  …mon école prend de plus en plus d’ampleur , elle aurait besoin de nouveaux bâtiments pour accueillir sa nouvelle population qui meuble une foule de nouvelles sections à la pointe des idées modernes …mais il faudra attendre 15 ans pour que les nouveaux bâtiments voient le jour .  En attendant on se débrouille en allant donner cours dans   les locaux vides d’autres écoles  aux 4 coins de la ville …cela provoque des transports  en  bus  incessant à 10 heures, à midi, à 13,30 et à parfois à 15 heures . Notre directrice cette femme de tête avait décidé que si la ville n’investissait pas en bâtiments, elle investirait en transport , car elle n’avait pas l’intention de renoncer à son projet de faire de son école la plus grande école de Wallonie . N’en pouvant plus de me déplacer avec mes élèves et un sommaire matériel de dessin  d’un endroit à l’autre , jusqu’à trois fois par jour…j’ai eu vent que la ville possédait une petite maison très délabrée dans un vieux quartier  à l’arrière d’un charbonnage . Aucun  de mes collègues ne voulait aller donner cours dans ce taudis   …alors j’ai visité le bâtiment avec la chef des travaux  et j’ai annoncé :  «  je prends tout le sous-sol »  .

On y accédait par un vieil escalier en bois et on arrivait dans trois pièces lumineuses

qui communiquaient avec une cour intérieure d’au moins 5 ares …un paradis . J’y ai passé mes vacances à tout repeindre en blanc , j’y ai fabriqué » une étagère de 4 mètres de long pour y installer tous le matériel nécessaire à l’art pictural … qui  passe par le bout de bois, le morceau de charbon, la planche à clou, le compas, l’aérographe, le compresseur, le poste à souder, la scie sauteuse , la pâte à modeler, l’algimat de dentiste pour faire des empreintes délicates comme des petits doigts….Bref un vrai marché aux puces !
À gauche en arrivant j’y installe ma pièce de confort, j’y amène mon ancien frigo, une taque  de cuisson électrique , j’y fais entrer un canapé en passant par le jardin et en démontant la fenêtre …c’est comme un petit chez-moi…J’ai besoin de nidifier partout où je asse…cela me sécurise , je me sens dans mes meubles …il m’est d’ailleurs arrivé plus d’une fois d’y passer la nuit , parce que je voulais finir le tableau commencé et j’avais tout sur place pour faire ma toilette le lendemain matin . Pourquoi se laisser bouffer par des conventions idiotes alors que la vie peut être si simple…

J’y ai passé 10 ans dans cet endroit idyllique

que j’ai du  par la suite défendre bec et ongles à la convoitise de mes collègues …pensez, j’étais seul maître à bord, j’avais toutes les fonctions et il n’était pas question de faire entrer un inspecteur de l’enseignement dans un endroit aussi peu représentatif de notre prestigieuse école . On m’avait installé le téléphone pour pouvoir communiquer les absences du jour ( y-en avait pas beaucoup …chaque élève aimait  avoir cours dans cet endroit hors-norme. En fin d’année on y faisait un monstrueux spaghetti  rien que pour mes élèves et moi …chacun amenait une petite boîte de sauce bolognaise maison …on réchauffait le tout ensemble et je cuisais les spaghettis dans la grande marmite de ma grand-mère …on pouvait mettre la musique à fond et danser sur les tables  …on était au bout du monde ….c’était à pleurer de bonheur.
L’été on travaillait au soleil dans la cour  et là on avait la place pour faire de grandes sculptures en plâtre …on s’en foutait pas mal de saloper le sol cimenté …et l’hiver on bénéficiait d’un chauffage central à l’ancienne , qui n’était pas avare de ses calories .  Dans la pièce du fond , les garçons avaient amassé des pièces de voiture en chromé et en tôle froissée qu’on a assemblées par soudures successives pour  en faire des objets de curiosité…   Une  autre fois on a construit en « papier mâché » une dizaine de   grosses têtes pour chacun de nous : genre Île de Pâques ou masques africains… à l’intérieur desquels on tenait debout …Quelque temps plus tard, une secrétaire m’annonce par téléphone que tous les élèves doivent se rendre à l’hôtel de ville …et que le rang démarrera de la Garenne à 14h 30……et j’ai estimé que le moment était venu de montrer nos œuvres… nous allions nous rendre à l’hôtel de ville avec les autres, mais nanti  de  nos grosses têtes …

Cela a créé la panique dans la rue du Fort …

la directrice s’est précipitée sur nous d’un air menaçant  …j’ai du crier très fort pour qu’elle reconnaisse ma voix au travers du carton-pâte  et j’ai du lui dire que malheureusement nous ne pouvions nous séparer de ces gros volumes en les abandonnant dans la rue, car cela faisait partie des travaux de l’année et que je risquais d’avoir des ennuis avec la commission d’homologation …Du coup on a fait toute la délégation en grosses têtes et on a même écouté le discours du conseiller communal comme des  gardiens du temple juste à côté de l’immense porte de la salle des congrès . On crevait de chaud à l’intérieur , mais plutôt mourir que de les enlever .

Aux changements de cours, j‘attendais les nouveaux arrivants sur le pas de la porte,

ils m’étaient livrés en bus et je ne devais plus me déplacer .Tous les élèves d’art décoratifs en parlaient entre eux  et ma vielle maison de la rue « Pige au Croly » a fait beaucoup de jaloux .Dans les années qui ont suivi  des collègues de dessin sont venues occuper les 2 pièces du rez-de-chaussée et les 2 pièces du premier étage . Et on a commencé à former un groupe sympa.   Le midi, je les invitais dans ma cuisine/salon et ce fut le début d’une grande communauté artistique . Merci la vie  …On a beaucoup ri , on a raconté beaucoup d’histoires et on a décidé de se démarquer des profs des autres sections . La plupart d’entre nous avaient bien sûr un hobby artistique  «  peinture – dessin – sculpture …ON s’est trouvé un nom heptagone, ben oui nous étions 7 …et on a demandé à la ville de nous sponsoriser. La ville nous a offert les locaux de la bibliothèque communale pour y monter une exposition , la presse était conviée et ce fut un beau coup de pub pour notre école  avec de très belles retombées pour nous , car la ville  a acheté une œuvre  à chacune d’entre nous… ce fut un beau départ une belle énergie collective , une belle entente entre  7 femmes différentes  .

En ce qui me concerne, ce fut le début d’une longue série de 12 expositions … étalées sur 13 ou 14 années .

Je peignais à l’huile depuis l’âge de 12 ans, car ma mère m’avait inscrite au cours de peinture le jeudi après midi chez les « filles de la Sagesse » …là j’ai appris à recopier ce qu’on appelait alors des chromos …sorte de reproductions  à sujet très conventionnel …des marines, des natures mortes . Ma mère  a  fait encadrer tous mes tableaux avec le plus grand soin  et je n’ai jamais compris pourquoi elle me manifestait tant d’intérêt …elle devait avoir beaucoup de choses à se faire pardonner.
Le développement artistique fut peut être la chose la plus aboutie dans toutes mes tentatives de prouver au monde mon existence . J’ai fait partie du grand mouvement de l’Esthétique Positive , inventée par Émile Taimont et Mireille Hendrick …ils y ont consacré 30ans de leur vie . Pour faire simple , je pourrais dire qu’ils ont mis des mots sur des concepts …Pour expliquer: je vais faire une analogie avec le patinage artistique… Lorsqu’un néophyte  regarde un couple de patineurs …il les voit évoluer , se déplacer , avoir des soubresauts , des moments lents et d’autres plus saccadés… Mais ce vocabulaire subjectif et tellement réduit ne permet pas de définir avec précision la qualité des évolutions d’un couple par rapport à un autre. Pour qu’une chose existe il faut qu’elle soit nommée …on parlera alors d’un axel, d’un double axel , de pirouette  …de points de pivot…de levée en étoile…etc.

ET bien en art plastique ce fut la même chose …

quand les historiens d’art analysaient un tableau , beaucoup de temps était consacré à l’historique et  la vie de l’artiste , ensuite l’analyse du tableau était plus psychologique que plastique …alors qu’en esthétique positive on parlera d’une composition soumise à un ou deux centres d’attraction visuels… le tout organisé selon une forme de base circulaire carrée  , selon une oblique  , une croix …en réseau sous forme de bandes juxtaposées, en échelonnement selon un axe,  etc  … On parlera d’équilibre de distribution, par rapport à un pivot intérieur …ou d’équilibre de répartition par rapport à un format extérieur. Le fait d’utiliser ce vocabulaire avec les élèves permettait d’être plus constructif dans l’apprentissage et également  dans la critique constructive d’une œuvre …cela a fait exploser la qualité des travaux scolaires .

Durant 12 ans le groupe d’esthétique positive était convoqué à des colloques, des formations extra-muros …

on a beaucoup voyagé. Pendant 3 années je suis allée enseigner l’Esthétique Positive à Vitry-le-François, 5 fois par an aux profs de dessin français de l’académie   relevant de la  Champagne-Ardenne . Je me tapais 600 km de routes secondaires  avec la 2 cv chargée jusqu’à la capote des réalisations  de mes élèves. C’était  un booster énorme qui m’incitait à me surpasser  sans arrêt …la petite Belge avait envie d’en mettre plein la vue à tous ceux qui se cachent derrière une arrogance inappropriée  .  Effectivement j’arrivais le vendredi soir vers 22heures quand tout allait bien , j’étais reçue chez l’inspectrice pour la nuit et le lendemain elle m’accompagnait à 20 km de là , où une trentaine de participants attendaient …Et là durant 8 heures je décortiquais les visions multiples de l’Esthétique Positive ? J’enseignais tous ces concepts rendus concrets… et chaque explication  était accompagnée d’une ou plusieurs réalisations scolaires …j’avais un malin plaisir à étaler sur toutes les tables les réalisations des 20 ou 25 élèves de la classe …ils étaient scotchés, car chaque travail faisait l’objet d’une certaine admiration de leur part . On entendait voler les mouches …ce qui n’est pas courant dans une assemblée de Français.
Le samedi soir , je remontais vers la Belgique mission accomplie . J’étais comblée de gratitude, de reconnaissance et j’avais de nouveaux défis qui commençaient à germer dans ma tête .  Au bout de 3 ans , j’ai passé la main, j’avais fait mes preuves .

Mais avant cela , lors d’une de mes dernières interventions , j’ai  exposé mes tableaux personnels à Vitry-le-François

dans une des dépendances de l’immense  demeure de l’inspectrice madame Carion  . Il est important quand on est prof de montrer qu’on sait de quoi on parle …si on demande aux autres une certaine compétence, il est impératif de pouvoir l’assumer soi-même pour être crédible et respecté .  C’était mon époque aérographe . Je me rappelle avoir franchi les portes du musée d’art moderne à Bruxelles  sans exaltation particulière , un peu pour ne pas mourir idiote …et je suis tombée en pâmoison devant les œuvres de Wonderlight réalisées à l’aérographe …une nouvelle forme d’expression s’ouvrait devant moi .  Trois jours plus tard, je possédais l’outil et je commençais mes premiers essais . Ca ne vient pas tout seul, il faut s’accrocher …mais quand la maîtrise commence à s’installer, de nouvelles formes apparaissent, pleines de douceur , de finesse, de subtilité …c’est comme un nouveau vocabulaire artistique qui s’offre à vous pour exprimer des émotions fugaces, mais plus intimes…Étant féministe avant la lettre , j’ai depuis toujours décidé que je ne peindrais que des femmes …alors pour l’expo de Vitry-le-François , j’ai réaliser une vingtaine de dessins de femmes à l’aérographe et j’ai poussé l’arrogance jusqu’à les nommer par des mots commençants par « con » …tel que convoitise…compromission…concupiscence…convention…compétitivité…etc   …C’est tout moi ça !

Un autre grand coup de cœur fut mon extase devant les tableaux hyper réalistes de la Fiac au grand Palais à Paris …

cela m’a donné l’idée de jouer avec les images publicitaires déchirées et recomposées , mais traitées en hyper réalisme de grand format …cela n’avait  encore jamais été fait …j’innovais ce genre de  composition …Puis suite a ma rencontre avec Victor Lefèvre et Gilberte Dumont  qui peignaient des miniatures surréalistes avec des perspectives déformées , j’ai appris a fabriquer les bases de ces petites miniatures qui se faisaient sur du bois enduit de kaolin mélangé à de la colle de lapin . Cela donnait un support d’une grande perfection permettant d’utiliser des pinceaux à 2 poils. Alors j’ai fait de l’hyper réalisme miniaturisé  et ces tableaux-là je ne les ai jamais exposés… j’avais fait le tour de toutes mes envies…et continuer à peindre serait, me recopier ….C’était sans intérêt !

Alors je me suis tournée vers d’autres défis …

Merci la vie.

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