Être enseignante c’est la sécurité assurée, du moins à cette époque . Et c’était également une position honorable , car les élèves avaient du respect pour leurs profs . Mais la plus grande caractéristique de la fonction est qu’on est seul maître à bord . Vous comprenez pourquoi je suis restée 33 ans dans l’enseignement officiel et qu’ensuite durant 18 ans j’ai fondé mon propre centre de formation . Je déteste qu’on me dise ce que je dois faire …
Mais être à la tête de son entreprise,
soit-elle une école ou une classe, demande beaucoup de vigilance …car si une erreur se produit c’est inévitablement de votre faute …si vos étudiants ne vous respectent pas , c’est inévitablement parce que vous les traitez comme des objets et non comme des individualités potentiellement parfois plus riches que vous .
Le pouvoir
est quelque chose qui nous est offert par les autres en fonction de l’estime qu’ils ont pour nous . Par contre le pouvoir sur soi nous incombe complètement et est souvent douloureux d’exigences . Si on veut être le chef, il faut pouvoir assurer tous les postes …et surtout les anticiper pour éviter les écueils.
J’ai fait les pires folies avec mes élèves …
on s’est retrouvé un jour dans une ruelle comprimée entre deux bâtiments commerciaux à Charleroi. L’objectif était de filmer le trajet solitaire d’un personnage en pleine introspection …le lieu convenait parfaitement… C’était inondé de mauvaises herbes et de vieux plastiques agrippés à des barbelés qui sifflaient dans le vent une rumeur douce-amère…Nous étions tellement concentrés dans nos prises de vues et nos recadrages que nous nous sommes retrouvés tous les six coincés par 2 pelotons de policiers arrivant chacun par un bout de la ruelle …ils avaient des regards menaçants , prêts à nous clouer au sol hors d’état de nuire …..C’est presque en bégayant que j’ai déclaré mon identité… Messieurs je suis leur professeur et nous venons de l’école de La Garenne à Charleroi …on ne fait rien de mal …nous avions juste besoin de quelques prises de vues évocatrices ….
Ah bon dit l’un d’eux …. cela fait une demi-heure qu’un habitant de l’immeuble d’en face vous observe et il nous a contacté , car il vous croyait en repérage pour découvrir une possibilité d’entrer par effraction dans l’un des deux bâtiments juxtaposés à la ruelle…On a fait patte blanche et je leur ai demandé si on pouvait filmer encore quelques minutes, car il nous manquait les images de la fin de la ruelle …
C’est comme cela qu’on a terminé les « ruschs » avec 6 flics au cul qui avançaient comme des elfes pour ne pas nous déranger.
Une autre anecdote rigolote et audacieuse …
Mes élèves avaient besoin d’une séquence vidéo d’une route asphaltée qui défilait très vite , cela pour rendre je ne sais plus quel climat psychologique ou anecdotique …toujours est-il que je leur ai dit : « qu’à cela ne tienne , nous allons aller filmer cela ensemble sur le périphérique de la ville » …
Quatre de mes ouailles se sont entassées dans la 2 chevaux avec le hayon arrière complètement ouvert et retenu par des ficelles …j’avais pris soin de retirer le grand siège arrière et mon Jean-Michel était à plat ventre dans le coffre, la caméra au bout des bras , et retenu par les pieds par son copain Pierre . Je ne sais plus très bien, mais je crois que le grand Serge avait la tête hors de la capote et faisait signe aux automobilistes de nous doubler …quand à Kathy assise à côté de moi , elle surveillait les véhicules de flics au cas où il faudrait tous rentrer à l’intérieur et prendre un immense air ingénu . La Grandiosité… c’est pas raisonnable, mais qu’est-ce que cela laisse comme bons souvenirs.
La vie est une succession d’apprentissages
et sans doute avait-elle décidé de me faire connaître la dépendance en milieu professionnel…pour apprendre à me plier aux décisions collectives et pouvoir faire contre mauvaise fortune bon cœur . Moi comme enfant unique, je n’avais pas l’habitude d’être confrontée à une idée opposée à la mienne et qui comble de la vexation pourrait être meilleure …et en tant que prof n’en parlons pas.
Alors, entrer “to de go” au sein d’une entreprise sans connaître les rouages de la soumission à l’autorité et les faux fuyants flatteurs qui permettent de garder un certain statut pour ne pas perdre la face…..Et bien c’est vachement difficile quand il faut tout apprendre en une seule journée…
Je fus plongée là-dedans sans préparation, vierge de tout conflit professionnel et stratégie de la promotion .
Pour situer le cadre :
c’est le directeur du magasin l’Innovation de Charleroi qui cherchait une styliste ( c’était la nouvelle profession à la mode dont chaque entreprise souhaitait s’enorgueillir…) et ce brave homme souhaitait donner un coup de jeune à son magasin et surtout faire valoir ses idées qui se voulaient novatrices .
Et je suis tombée dans le panneau !
C’est mon mari qui croyant bien faire , m’a recommandée auprès de cet homme qui fut l’un de ses profs à l’univ Waroqué à Mons.
Je fus reçue en grande pompe dans le bureau de ce monsieur qui s’est mis à me décrire comment il voyait les choses . Il me suggérait de demander à être libérée tous les lundis de mon horaire scolaire et si cela posait problème il en parlerait avec l’échevin de l’instruction.
Wawww ! Je ne suis pas la reine de sabbat , mais on n’en est pas loin .
Alors en y mettant tous les fantasmes liés à son esprit qu’il voulait novateur…il m’annonce que ma mission serait de visiter un lundi sur deux, une grande ville comme Paris ou Londres afin de glaner les idées nouvelles et le lundi suivant de faire un petit topo de mes découvertes auprès des décorateurs de l’Inno qui étaient au nombre de 4, plus les assistants, les peintres et les tapissiers …
Bref du haut de mes 24 ans
j’allais devoir expliquer mes petites idées à une vingtaine de personnes qui avaient en moyenne 25 ans d’expérience du métier .
Comme monsieur le directeur était présent , on nageait dans la courtoisie , la convivialité, les flatteries , les « opinages » du bonnet …
Bref ils m’ont félicité comme si je venais de découvrir l’eau chaude et le fil à couper le beurre …
Ce fut une expérience bizarre , inconnue de mon cerveau …moi qui me gausse de ne jamais mentir , je ne peux imaginer que les autres mentent …. Mais cette soumission à l’autorité, cette hypocrisie dépassait mon entendement , je perdais mes repères..
Quand j’eus fait le tour de mes petites explications , de mes coups de cœur, de mes émerveillements face aux vitrines des « Champs-Élysées » et de mes petits croquis explicatifs …le directeur s’éclipsa en me faisant de la tête un discret signe de satisfaction accompagné d’un sourire … et dans les 3 minutes qui suivirent je me suis retrouvée toute seule au milieu d’un local vide avec en bouche encore la moitié de la phrase que j’étais en train de dire …
Va falloir finauder ma vielle
si tu veux te taper le TGV un lundi sur deux tous frais payés pour aller jouer les stars .
Quel beau défi , complètement innovant, j’allais jouer dans la cour des grands, des coriaces, des irréductibles ….
J’allais apprendre que ce ne sont pas les nouvelles idées qui émerveillent ces hommes qui défendent leur territoire …mais c’est la façon de présenter les choses qui fait la différence… Apprendre à suggérer les idées pour les amener à croire que l’idée vient d’eux …
Cela ne s’est pas fait en une semaine, il m’a fallu plusieurs mois pour y arriver …on a fini par se supporter … mais au bout d’un an j’ai jeté l’éponge, car tout au-dessus de la pyramide du pouvoir il y avait le décorateur général de tous les « Inno » de Belgique et de France et il n’était pas question qu’une péronnelle , prof de surcroît vienne enjoliver les magasins sans rien y connaître en marketing .
Y a pas à dire …mais ça fait grandir ce genre d’expérience …
Cela permet d’engranger de nouvelles stratégies …de gonfler son potentiel pour les années à venir.
Merci quand même …la vie…