J’ai bientôt 40 ans, je trace mon petit bonhomme de chemin avec des hauts et des bas, je lis des oeuvres philosophiques , je m’applique à creuser le symbolisme, des portes s’ouvrent à l’intérieur de moi . Plus je reçois de réponses à mes préoccupations basiques, plus de nouvelles questions s’imposent …plus je comprends, moins je comprends …mais je sais que l’important n’est pas là …ce qui compte c’est le chemin …c’est comme la vie : l’important n’est pas d’arriver au bout, mais c’est de la vivre.

Dans l’organisation de ma loge , une question devient brûlante . La présidente de la loge c’est-à-dire la Vénérable voit son mandat arriver à échéance , elle l’aurait même dépassé de plus d’un an, mais personne ne pointe le bout de son nez pour accepter le premier maillet. La plupart des sœurs fondatrices ont rejoint leur loge mère …d’où les regards se tournent vers nous les 5 premières initiées .
Aucune de nous ne se sent capable d’assumer la direction d’une loge avec le peu d’expérience que nous avons … face à la vénérable qui dirigeait d’une main de fer et qui risquait de nous remettre à l’ordre à la moindre défaillance.

Et puis un jour, je me suis senti l’âme d’un sauveur et j’ai dit en assemble que si personne ne s’offrait au service de la loge , je voulais bien ! Wawww, je venais de mettre ma tête sur le billot , innocemment, pour aider…
Être vénérable c’est accepter de ne plus avoir de vie privée, c’est être au service de la loge 24 heures sur 24 …c’est plus commode et moins percutant d’entrer en religion !

C’est ainsi que 6 mois plus tard 200 personnes attendaient sur les parvis d’assister à mon installation . Il faut vous dire que le hasard a voulu que je sois la première vénérable de Belgique a avoir reçu l’installation ésotérique à la grande Loge féminine et cela a suscité beaucoup de curiosité parmi les maçons.
Il y avait l’installation traditionnelle à laquelle pouvaient assister tous les visiteurs, ensuite venait l’initiation ésotérique ouverte aux seuls initiés…….
Vous imaginez les remous que cela a provoqué, cela a divisé l’opinion.
Actuellement circulent encore des croyances que cette initiation donnerait un pouvoir supérieur à la personne qui la reçoit, sorte de clés supplémentaires …FOUTAISE !

L’état d’esprit que l’on vous transmet est qu’on vous met là pour être au service de l’atelier, résoudre les conflits, prôner l’harmonie et assurer la pérennité de l’institution. Vous n’êtes pas là pour vous, pour satisfaire votre ego, Non !
L’installation ésotérique vous remet en face de votre condition humaine nourrie de doutes, d’hésitations, et vous prépare à des prises de position qui parfois relève du déchirement …qui a raison, qui a tord, personne et cependant il faut trancher tout en sachant que vous allez vous mettre à dos la partie évincée.
On vous le fait très bien comprendre en vous faisant gravir à reculons les 3 marches qui mènent à la stalle et symboliquement on vous jette sur ce trône comme un objet au service de … !
C’est le plus beau rituel d’humilité qu’il m’ait été donné de vivre.
Vous recevez des clés, mais ce sont celles du travail, de l’écoute, de la rigueur, de la disponibilité, de l’ouverture aux autres …
Merci la vie.

Alors s’en suivirent 3 années vouées totalement à ma loge.
J’avais demandé à mon école de réorganiser mon horaire pour être dispensée de cours tous les mardis afin de pouvoir bien préparer ma réunion du soir.
Installée à mon bureau dans le living , les tentures fermées de manière à être complètement dans le noir toute la journée, pour rester concentrée .
Il faut vous dire que la décoration de ma maison était hors du commun à l’époque.
Les murs étaient tendus de velours noir, les doubles rideaux étaient noirs et la moquette était noire. Seul le plafond amenait de la brillance, je l’avais recouvert de plaques d’aluminium anodisé or. Le mobilier était lui aussi noir ou or…seuls mes tableaux amenaient la couleur. C’était très surréaliste comme ambiance, mais très beau, très « classe » ! Cela donnait l’impression d’entrer chez Toutankhamon… j’adorais ce décor hors du temps et de la mode.

Être au milieu de cette obscurité m’offrait une puissance de concentration maximum, cela me permettait d’apprendre par cœur les textes imposés, et de rédiger les discours nécessaires à l’accueil des visiteurs .
Cela me permettait de mesurer la portée de mes paroles par rapport à chaque membre de la loge et de les adoucir si besoin était quand les visages de l’une ou de l’autre surgissaient dans mon esprit.

C’est là que je passais tous mes coups de téléphone pour préparer mon équipe de travail, connaître leur avis, leur implication face à des votes ou simplement connaître leurs sentiments face à une nouvelle idée que j’aimerais proposer à l’atelier.
Diriger un groupe c’est déléguer, mais déléguer ne veut pas dire se débarrasser d’un problème… NON, c’est créer la communication et l’accord avec l’autre pour avoir son aval et son soutien .C’est quand toute une commission marche de concert qu’une loge est en bonne santé et offre l’apaisement et la sécurité à l’ensemble du groupe qui peut alors se délecter de l’égrégore d’une tenue bien aboutie.
Mais ce n’est pas facile cela nécessite de la diplomatie et beaucoup de conciliation.
C’est tellement plus simple de dire, je veux, j’exige !
Être vénérable vous projette dans des rôles au-delà de votre condition…on est parfois la maman à qui certaines personnalités plus démunies demandent conseil… On est parfois le berger qui se doit de rassembler les brebis qui s’égarent… ou alors le coach qui doit trouver la bonne argumentation pour susciter les travaux collectifs. Mais on doit surtout être dans un éveil constant pour sentir le pouls de la loge avec ses fluctuations d’intérêt ou d’émotions…et trouver les mots justes pour ré-équiliber ou pour faire régner l’ordre.

L’atelier n’est pas indulgent avec sa vénérable, il attend d’elle…LA PERFECTION…
Le droit à l’erreur n’est pas de mise.
Chaque participante aurait tendance à se projeter en elle, d’où ses comportements se doivent de refléter les aspirations particulières de chacune…c’est dans ces cas là qu’on risque de perdre pied, de ne pas se sentir à la hauteur de la mission et ça fait fortement écho avec les aléas de la vie profane, mais comme ici on joue une pièce de théâtre, cela permet de relativiser et d’apporter cette relativité dans notre quotidien .
Merci la loge

J’ai compris ma vie au travers des difficultés de ma fonction. C’est la transcendance de notre pensée rationnelle vers le sacré qui nous donne l’opportunité de prendre beaucoup de recul. Quand on parle de Sacré en maçonnerie, ce n’est pas associé à une religion qui « elle » est fondée sur la croyance en une vérité révélée par un être qui se situe au-dessus de l’humain.
Ici le recours au sacré est utilisé dans le cadre d’une quête de sens que l’homme cherche à donner à la réalité de son quotidien.
Cette notion de sacré est délimitée par un espace-temps appelé une Tenue …espace temps qui permet au maçon de prendre volontairement ses distances par rapport aux contingences, aux conditionnements, aux attachements et préjugés du monde profane. Alors celui-ci peut travailler sur lui-même et élever son esprit.
C’est par le rituel que l’espace temps sacré est créé.

L’initiation maçonnique a pour fonction la Transmission…mais ce n’est pas une transmission verticale par un être suprême…mais simplement par d’autres humains un peu plus avancés sur le chemin.

La maçonnerie n’explique pas les choses, elle vous les fait vivre. Et le chemin n’est pas toujours lisse, mais ce fut l’un des plus fructueux chemins qu’il m’ait été donné de vivre et je ne saurais trop le conseiller à ceux qui acceptent de se remettre en question et de côtoyer l’humilité.
Merci la vie.