Il pleut depuis une semaine et je regarde mon jardin avec nostalgie, je me sens abandonnée du monde …n’y a-t-il pas dans cette immensité un homme vrai pour moi…
Et quand le soir tombe que les maisonnettes du village s’éclairent, j’imagine tous ces couples qui y vivent et je me sens encore plus démunie.

Je voudrais placer un nouveau cheval dans mon paddock, mais cela n’est pas encore suffisamment clair dans ma tête . Ce dont je suis sûre c’est que je ne supporte plus ma solitude dévergondée…je m’amuse beaucoup, mais je ne partage rien et ce vide affectif me pèse. Mes amies, mes collègues et mes sœurs de la loge m’invitent copieusement pour me présenter l’un ou l’autre de leurs amis. Elles ont pitié de mon état dépressif .
Mais au premier coup d’œil, ça passe ou ça casse . Des milliers de livres ont essayé d’expliquer le phénomène de l’anima / l’animus …qu’est-ce qui fait que la moindre petite chose chez l’autre peut créer l’attirance ou la répulsion . Je me souviens d’une réflexion faite par une amie qui me disait : Oh ! ce qui m’attire chez lui c’est ce petit surplus de salive dans les coins de sa bouche…j’ai failli vomir !

Lors d’une réception chez l’une de mes sœurs on avait choisi de m’installer à table à côté d’un jeune notaire qui cherchait lui aussi à rencontrer l’amour .
Je me suis faite toute belle pour l’occasion et j’ai passé tout le repas à côté d’un petit gros boursouflé de suffisance…n’en pouvant plus je suis devenue désagréable et infréquentable…A sa demande : « quel est votre plus grand rêve dans la vie, je lui ai répondu le plus sérieusement du monde « nager dans une piscine de mayonnaise ! Cela a fait rire toute la table qui avait très bien compris ma provocation .
Quand à lui, il m’a regardé comme une demeurée …il s’est levé et il a changé de place.
Ouf, je vais enfin pouvoir m’amuser.

Alors je demande à l’univers de mettre sur ma route un homme de confiance . Mais je réalise que je n’ai pas défini l’être que je cherche depuis si longtemps !
Je suis fan du feuilleton tv de Magnum, je le trouve séduisant, entier, authentique, serviable, généreux , pas compliqué, pas torturé par des états d’âme incontrôlables…et je tombe amoureuse de cette image…elle va me suivre pendant plusieurs mois et me faire beaucoup pleurer.
Je ne sors plus, je refuse les invitations et je travaille…j’avais vu à la Fiac de Paris cette nouvelle tendance artistique hyper réaliste de très grands formats et je me lance aussi dans des tableaux de 1,50 m …mais je choisis de créer mes projets au départ de photos publicitaires déchiquetées et recomposer sous forme de photomontage …ce qui donne une dimension onirique saisissante …personne n’avait exploité cette expression, j’inovais .

J’achetais pas mal de magazines pour élargir ma banque d’images.
Puis un jour me sont tombées dans les mains, les publicités pour Malboro , illustrées et personnifiées par un baroudeur avec une belle gueule …le mec…le mâle…C’EST UN COMME CA QUE JE VEUX .

Je venais d’envoyer un message concret à l’univers , j’avais défini mes désirs en une image, il me restait à définir en mots la personnalité souhaitée de cet homme si attractif …j’en ai fait la liste, illustrée par les personnalités des différents hommes rencontrés …il doit pouvoir rire comme X, généreux comme Y, cool comme Z…
Alors j’ai peint un grand tableau en prenant un plaisir particulier a lui façonner une belle bouche , de beaux yeux et une sensuelle nonchalance .
Ce tableau est encore aujourd’hui une réalisation dont je suis fière.

Je lance ma bouteille à la mer…mais cette fois le message est plus exigeant, il ne laisse aucun doute sur le sérieux de mes intentions… « Dragueurs et incultes s’abstenir » !

Sept réponses dans ma boîte aux lettres …ça devient serré !
Une seule attire mon attention… Le texte en est authentique, sans emphase, sans jeu de séduction…Magnum quoi !
Des mots qui m’accrochent : harmonie, équilibre, apaisement, communion, complicité…….
Vivement 20 heures !

On décroche et une voix grave, posée me répond…

Arrête de fantasmer Josiane ! … Ce n’est pas Magnum ! Ecoute, laisse venir…
On se raconte …on se pose quelques questions, très peu comme ci chacun voulait garder la surprise sur son apparence physique …ou comme si cela n’avait pas d’importance.
Je suis complètement sous son charme, je ne sais pas pourquoi, cela doit venir du timbre de la voix…et je l’imagine assez costaud, plutôt rondouillard, paisible, fumant la pipe, installé confortablement dans un gros fauteuil club .
J’ai rien contre les gros s’ils sont beaux à l’intérieur.
Mes yeux tombent sur mon réveil qui annonce 22 heures 30… Cela fait 2h et demie , je ne les ai pas vu passer et il n’a tj pas manifesté l’envie de me rencontrer !
On se souhaite la bonne nuit et j’accepte de lui confier mon numéro de téléphone .
À demain , me dit-il.

Bien voilà je n’ai plus sommeil, ça tourne à l’envers dans ma tête…je bâtis des plans sur la comète et mon imaginaire se débride.

Durant 6 semaines on s’est téléphoné tous les soirs , un jour lui, un jour moi…et les heures défilaient à grande vitesse, on n’en finissait pas de deviser sur la vie , le pourquoi et le comment des choses , curieux que nous étions de comparer nos différences et associer nos ressemblances ….. Jamais il ne m’a demandé de me décrire physiquement et je m’astreignais à ne pas fournir le moindre détail sur ma personne. De mon côté je ne voulais pas savoir à quoi il ressemblait, sa gentillesse et sa prévenance me comblaient …alors je préférais m’accrocher à mon fantasme pour ne pas gâcher cette envoutante euphorie …on ne sait jamais !

Après quelques semaines de rendez-vous téléphoniques arriva quand même l’hypothèse qu’il serait temps que nous nous rencontrions . Mais le monsieur était très occupé, ou plutôt très demandé, ou encore très engagé…il devait honorer pas mal de soirées chez des amis, disait-il ! Le week-end prochain il était à l’étranger, mais il n’a pas précisé avec qui ? Le we suivant il avait des occupations familiales !
Tout cela baignait dans un flou artistique.
Mais qu’à cela ne tienne, j’avais encore quelques petits plats bien mijotés sur le feu pour animer mes prochains moments de loisir .

À la 6e semaine, il m’annonce être libre le samedi soir et si cela m’agrée, ce serait avec plaisir qu’il m’inviterait à prendre un verre .
Manque de bol, c’est le jour où mon amie journaliste donne sa fête annuelle à laquelle les grandes pointures de la télévision et de la radio sont conviées. C’est l’ambiance assurée, il n’est pas question que je rate cela ! C’est à Marbaix le village à côté .
Mais je me sens partagée …….et comme je n’arrive pas à trancher, je décide tout de go de l’inviter à m’accompagner . Waww ! je prends de grands risques …Josiane tu manques de discernement !

OK bonne idée me dit-il, mais je ne serai au rendez-vous qu’à 23 heures au plus tôt :
j’ai quelques obligations à respecter ….Ça y est, ça recommence !

On dit que la nuit porte conseil, ce fut le cas…plein d’images négatives dansaient dans ma tête, et s’il était obèse, et s’il marchait avec une prothèse, et s’il était laid à faire peur… J’aurais l’air malin devant la horde de journalistes qui me courtisent d’année en année !

Samedi, c’est le plein boom, ambiance survoltée comme d’habitude et étant arrivée seule les mâles me tournent autour, je les garde au chaud, mais je les tiens à distance , car j’ai rendez-vous avec « La Voix » à 23 heures devant l’église de « Ham-sur-Heure » mon village.

À 22 heures 45, je quitte discrètement l’assemblée et je me pointe avec ma deux-chevaux au lieu de rencontre .
Première cigarette pour la contenance, 2e cigarette pour la réflexion , 3e cigarette contre l’énervement …je décide de vider les lieux et d’aller l’attendre chez moi ( il connaît l’adresse, je la lui avais communiquée par précaution) . Je bois un whisky pour passer le temps et je résiste une demi-heure…Josiane , admets , tu t’es prise un fameux lapin . Qu’à cela ne tienne , je sais que je suis très attendue dans le village d’à côté.
Je colle néanmoins un grand papier à dessin mentionnant l’adresse de mon amie et son numéro de téléphone… il faut rester positif , faire confiance à la vie…et ne pas se laisser abattre par les inconvenues…tout problème a sa solution !

À 2 heures du matin, le téléphone retentit… « on demande madame Dinant » ! J’abandonne mes admirateurs éberlués pour prendre connaissance de l’excuse que je vais devoir avaler… Et je décide de tutoyer d’emblée mon interlocuteur pour sauver les apparences auprès de trois mâles qui avec réserve s’étaient approchés pour connaître la tournure qu’allait prendre leur soirée .

Désolé pour cette arrivée si tardive , mais je suis là devant l’église !
En clair cela veut dire qu’il est passé chez moi , a vu le mot sur la porte, et a eu connaissance du numéro de téléphoner de mon amie CQFD ! on touche au but il est vraiment dans le coin!

Comme une alouette, je m’envole vers la place de l’église, mais l’église de « Ham-sur-Heure » comme convenu …et j’attends … j’attends… je crains le pire… s’il ressemblait à Quasimodo… comment vais-je oser le présenter …..Car maintenant par mon comportement de biche effarouchée, j’ai éveillé la curiosité … tout le monde se doute que j’ai rendez-vous avec un inconnu.

Le ciel est noir parsemé d’étoiles , c’est un peu angoissant de se retrouver en pleine nuit devant le porche d’une église imposante et indifférente à mes turpitudes romantiques . La lune provoque une grande ombre noire sur la place, cela fait plus d’une demi-heure que je tape du pied pour me réchauffer , on est à la fin de l’hiver.
D’un tremblement de mains plus accusé, toutes mes allumettes s’éparpillent sous ma voiture…il n’est pas question de perdre mes allumettes, c’est ce que j’ai de plus précieux en ce moment ……… alors je m’installe à quatre pattes pour rassembler mon trésor …et un retentissant bruit de relance de moteur fait son apparition sur la route en provenance de Marbaix …en 3 secondes , le bruit est derrière moi accompagné de crissements de pneu …serait-ce lui ! Je me précipite sur mes 2 jambes pour retrouver ma dignité et ne plus lui imposer mon arrière train.
J’observe la voiture à l’arrêt à 10 mètres de moi… C’est l’heure de vérité , je me sens fébrile, ça passe ou ça casse !
Une longue silhouette noire d’un mètre quatre-vingt-sept se déplie hors de la voiture et reste là immobile.
J’avance à pas de loup, ouf, il n’est pas obèse, il n’a pas de jambe de bois !
Ma figure se déchire dans un sourire d’émerveillement , c’est Magnum en cheveux raides…
Alors avec toute l’espièglerie qui me caractérise, je m’approche du « mythe », je lui prends les mains et je tourne autour de lui ….Et dans un rire venant des tripes je dis : « mais c’est pas dégueulasse tout ça ! »
Il me prend dans ses bras et m’offre le baiser du siècle …je fonds…je suis à lui , c’est « Un » comme ça que je voulais.
Merci la vie.

On est repassé par ma maison pour que nos attitudes fassent connaissance. Puis j’ai proposé d’aller rejoindre la fête, j’avais tellement hâte de le montrer au monde.
On s’est assis dans un coin oubliant complètement l’univers bruyant autour de nous. Mes admirateurs désemparés de ne pas faire le poids sont partis chasser ailleurs.
Nous avons repris notre conversation de la veille et on ne s’est plus quittés jusqu’à aujourd’hui…cela fait 33 ans.
Merci la vie.