Pourquoi on devient psy 11 – Tout doit trouver sa place. 1

La maison semble inhabitée ,

le moteur s’en est parti…il n’y a plus de jurons tonitruants qui déchirent  l’air…il n’y a plus de conférence au sommet  devant un petit café chaque matin avec tout le personnel .Ma mère leur a expliqué qu’ils risquent de ne pas être payé durant 6 mois car tous les comptes sont bloqués , mais elle sait qu’il y a une confiance réciproque installée depuis toujours  et le personnel le sait aussi. Ma mère a pris son courage à  bras le corps , comme elle sait si bien le faire .
Elle porte des lunettes toute la journée parce que toute la journée, elle lit, épluche de fiches de compte, relit des contrats et tente de comprendre en feuilletant nerveusement un dictionnaire anglais – français … au fur et à mesure que les jours passent ses lunettes glissent sur son nez  qui s’amincit …elle a abandonné ses grands tabliers  cache-poussière  pour une tenue de chef d’entreprise en deuil…un tailleur noir, un chemisier noir, des bas noirs dans des chaussures noires …elle fume deux fois plus que le mois passé…et elle a demandé à sa mère de venir auprès d’elle …c’est comme cela que ma Bobonne et mon Bon papa s’installent à nouveau à la maison …comme quand on habitait à Ixelles.
Mon grand père parle peu , il fait de l’artériosclérose… mais son perroquet qui était le mien et dont il a hérité , ne manque pas de conversation …surtout  de gros mots , de raclages de gorge, de pets tonitruants  à la suite de quoi il se traite de « saligot » avec l’intonation du grand-père.

Ma mère a engagé une bonne pour le ménage…

c’est un personnage de bandes dessinées  …elle pourrait être la mère de Kwic et Flup  …il lui reste à peine 6 ou 7 dents couleurs « café sans lait » parce qu’elle fume du pur noir qu’elle roule elle même …elle cale sa sèche dans une encoche entre deux dents et rallume la bête toutes les 5 minutes en penchant la tête pour ne pas cramer ce qui lui reste de cheveux décolorés . Elle a 50 ans , elle en paraît 65 . Elle s’appelle Janneke . ..et nous allons tomber sous son charme . Elle est d’une gentillesse  à toute épreuve,  jamais fatiguée, toujours souriante et sifflant les airs à la mode comme un pinson qui serait sourd. Elle a sa petite chambre à la maison et elle remercie le ciel de lui avoir fait le cadeau de la mettre sur notre route.

Mais au bout de quelques semaines elle a commencé à devenir nerveuse

et ma mère qui est très diplomate et experte en relationnel est parvenue à lui faire dire qu’elle souhaitait pouvoir sortir les samedis soirs pour aller danser … pas loin disait-elle avec son accent bruxellois , juste au bout du chemin VanReymenan, là  il y a un « cavitje » où j’ai beaucoup de mes amis à moi  et le samedi ça fait la  java …Tu sais «patroneke» , je n’ai que 50 ans et j’aime encore bien rencontrer des hommes . En me levant le samedi suivant , que vois-je dans la cuisine , ma mère qui mettait des bigoudis à Janneke , elle lui avait redécoloré les cheveux pour éliminer les grosses racines noires  et elle lui avait préparé une de ses anciennes robes pour que Janneke soit « toute propre sur elle »  pour aller faire la fête avec ses amis . Elle rentrait au lever du jour en titubant saoule comme trois Polonais , il lui est arrivé de dormir sur le talus le long du chemin au grand drame de ma mère qui avait une faculté d’empathie très développée et ne pouvait s’empêcher de se mettre à sa place . Elle est restée 5 ans à la maison.

Ma grand-mère Rosine , dit Bobonne ,

mère de ma mère , avait rassemblé toutes ses économies pour sauver la famille  de l’impasse financière qui la menaçait . Ma mère avançait lentement, très lentement dans son apprentissage de femme d’entreprise  et elle avait fait un pacte avec le Bon Dieu qu’elle avait bien connu quand elle était pensionnaire au Parnasse et qu’elle y apprenait le piano et la mode. Ce pacte, elle lui avait dit dans le creux l’oreille,  juste en dessous des épines : que s’il la sauvait de cette impasse , elle ferait un pèlerinage à Lourdes pour le remercier …et s’excuser d’avoir épousé un mécréant.

On est au tout début du mois de juillet,

je viens de recevoir mes résultats scolaires …je suis deuxième sur 24 en fin d’humanité…en septembre j’entrerai dans le supérieur pédagogique pour devenir prof …(si dieu le veux !) Pour l’instant je suis à l’arrière de ma deux-chevaux, c’est ma mère qui conduit et ma grand-mère Rosine est à la place du mort .  La citroën nous berce en douceur, on a  fait une centaine de km et on roule sur les petites routes françaises parce que les autoroutes n’existent pas encore .
IL fait chaud , très chaud et on a enroulé la capote de la voiture . J’ai dû maintenir mes cheveux avec un foulard , c’est mon seul ornement de coquetterie et encore je ne l’ai pas voulu dans mes bagages, je l’ai trouvé sous le siège avant . Dans le coffre il y a une seule valise qui clicote quand on la secoue parce qu’il n’y a pas grand-chose dedans  et il y a le vieux sac noir de ma grand-mère qui contient son strict nécessaire .

En fait le voyage a été précipité ,

on n’a pas pris la peine de se projeter dans le futur pour établir une liste d’objets nécessaires au voyage …non on voulait rester collé à la douleur de notre deuil pour influencer  le sort à satisfaire à notre demande …nous sortir de la merde dans laquelle nous étions . C’est comme cela qu’on a pris la route en grand deuil, toutes les trois de noir vêtues de la tête aux pieds avec en ce qui me concerne, juste une robe de rechange en nylon bleu foncé et trois culottes. On avait un peigne pour trois, c’est ma grand-mère qui l’a retrouvé dans le fond de sa grande sacoche.
On n’avait bien sûr réservé aucun hôtel le long du trajet et le premier jour, on s’est coltiné comme des romanichels d’hôtel en hôtel qui soi-disant étaient complet et ne pouvaient nous accueillir  Alors qu’on s’appétait à dormir à la belle étoile à côté de la voiture , un miraculeux hôtel en réfection a accepté de nous héberger …il faisait presque noir , on crevait de faim et de fatigue….. Mais  nous avons passé une nuit merveilleuse en plein milieu d’un chantier  qui n’avait plus de fenêtre , plus de revêtement de sol et qui sentait le plâtre mouillé. Le lendemain dès le réveil ma mère nous a informées de ses objectifs …rouler jusqu’à  16 heures et chercher un hôtel …prendre la peine de se recoiffer et de se rendre présentable avant d’investir la réception.

Je ne vous parlerai pas de Lourdes ,

j’ai trop à en dire et je ne voudrais pas bousculer ceux dont c’est l’ultime recours .Par contre je vais vous raconter une anecdote qui m’a permis de lever le voile sur un secret de famille …Ce jour-là j’avais le volant en main et mes deux passagères somnolaient , surtout ma grand-mère assise à l’arrière ….la route était toute droite et d’un monotone exaspérant , mon cerveau batifolait avec tout ce qu’il avait emmagasiné  et je ne sais vraiment pas pourquoi , mais je me suis entendue dire : «  sais-tu maman que les chattes quand elles s’accouplent et qu’elles poussent des cris stridents …ce n’est pas parce qu’elles ont mal, c’est parce qu’elles jouissent »  Silence de mort dans la voiture …Ma mère regarde derrière elle pour s’assurer que Rosine dort et n’a rien entendu…C’est OK et ma mère dit : «  eh bien non je ne savais pas »
Pour moi la question n’était pas inconvenable …ma mère  avait toujours mis un point d’honneur à m’élever d’une façon moderne,    sans faux fuyants  en s’obligeant à dire les choses mêmes si cela lui est difficile …elle ne voulait pas que je baigne dans l’ignorance et faire de moi une  femme enfant  comme elle.
C’est seulement 5 minutes plus tard , qu’une  voix rauque outragée , chargée de colère crache  dans le silence… c’est QUOI JOUIR… ça veut dire QUOI JOUIR ….c’est comme ça que tu as élevé ta fille ? On a arrêté de se parler jusqu’au soir .

C’est 30ans plus tard quand j’ai appris la PNL

que j’ai su faire les liens entre les micros récits  que ma grand-mère distillait au compte-gouttes  et qui ne répondaient jamais à ma dernière question …  POURQUOI  ça ?
Étant petite sa mère à elle s’était remariée avec un homme qui s’appelait Narcisse ( tout un programme )  et qui menait la maisonnée à la baguette . C’était dans les années 1890 et dans les villages les gens élevaient des poules, des lapins et des cochons pour subvenir à leurs besoins . Alors Narcisse obligeait la petite Rosine de 8 ans à passer la nuit dans la paille avec les cochons  pour éviter soi-disant que la truie ne mange ses petits….  et là, la petite Rosine étant sans défense offerte à son bon plaisir et son sadisme . Alors jouir elle ne connaît pas et ne connaîtra jamais . D’où elle a fait de sa fille , ma mère , une femme enfant qu’elle a enfermée jusqu’à 21 ans au pensionnat  pour la protéger des prédateurs et qu’ensuite elle n’a jamais laissée seule même avec celui qui allait devenir son mari  . Dit vulgairement on pourrait dire que ma mère est passée de la tétine à la turlutte ……Quel traumatisme …je te pardonne Maman  d’avoir quitté foyer conjugal par 2 fois en me laissant derrière toi.

C’est la fin du voyage à Lourdes …

on espère que nos veux seront exhaussés, car on a beaucoup payé de notre personne , on ressemble à des chiffonniers nos vêtements noirs sont devenus gris de poussière  et ils affichent de grandes auréoles blanchâtres en dessous des bras…on se lave tous les jours, mais comme on remet les mêmes vêtements cela ne change pas grand-chose . Mes cheveux mis long ont tournés à la catastrophe , je me les lave tous les jours , mais dans les hôtels bon marché que nous fréquentons, il  n’y a que du savon et pas de shampoing…  j’ai oublié mon sèche cheveux pour les défriser et tous les jours le naturel reprend le dessus un peu plus ,   j’aurai bientôt des poils pubiens sur la tête .
Ma petite deux poils s’essouffle , mais on souhaitait faire le voyage avec elle pour que cela nous coûte moins cher ….et à part 2 crevaisons elle a fait tout ce qu’elle a pu pour nous être agréable.

Je ne sais pas quelle mouche me pique ,

mais je suggère que nous remontions en passant par Paris . Ma mère n’attendait qu’une chose : sa maison , mais elle accepte néanmoins ma proposition…On entre dans Paris par la porte d’ Italie  et on remonte vers le nord pour rejoindre la route des Belges …A peu près à mis parcours  la voiture se paie un breck en crevant un pneu pour la troisième fois , il est midi , nous sommes dimanche, au milieu du boulevard des Italiens , ma mère empoigne le volant vers la gauche, pour me garer sur une providentielle place qui vient de se libérer,  et on se retrouve à un mètre des consommateurs de la terrasse à la Rhumerie …le lieu le plus huppé de Paris  Rive Gauche.
Toute la terrasse nous dévisage … la bouche ouverte , ils craignent qu’on fasse la manche  , des doigts se pointent en direction de ma grand-mère qui a gardé son fichu sur la tête et qui le porte à l’ancienne comme les diseuses de bonne aventure  …c’est la honte et il      FAUT     que  nous sortions de la voiture pour mettre le krick.

Alors pour conjurer le sort je me suis juré de revenir sur cette terrasse  avec mes plus beaux atours  …de m’imaginer à la place de ceux qui me jugeaient et m’envoyer de la compréhension et de l’amour pour que je ne connaisse plus jamais la honte de toute ma vie .

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